(Moscou, 1879 - Paris, 1968)
Léopold Sturzwage est fils d’une fabriquant de piano russe qui regrettait de ne pas avoir pu se vouer à la peinture. Il vint se fixer à Paris en 1908, attiré par la peinture française moderne qu'il connaissait par la collection Chtchoukine, et change ainsi son nom pour Survage. D'abord élève de Matisse, il subit l'influence de Cézanne puis celle du Cubisme. Employant des éléments figuratifs schématisés, il les associa à des perspectives contradictoires, comme si elles étaient perçues à travers un prisme, vision qui lui avait été suggérée par un spectacle urbain se reflétant dans les miroirs recouvrant la colonne intérieure d'un magasin.
Cette esthétique devait rester caractéristique de l'art de Survage, encore que le peintre l'ait, à certaines époques, notablement assouplie ou, plus rarement, transgressée. L'artiste a expliqué ses recherches dans un Essai sur la synthèse plastique de l'espace et son rôle dans la peinture, publié dans Action (1921).
En 1911, il expose dans la salle des Cubistes au Salon des Indépendants.
Il prit tout naturellement une part active aux recherches cubistes, toutefois chez lui orientées dans le sens d’un symbolisme rythmique plus particulier à sa propre sensibilité et conception du monde. Il fréquente Montparnasse et ses cafés, il rencontrera Léger, Archipenko, Gleizes, Max Jacob, Loutreuil, Cendrars et Modigliani qui réalisera son portrait.
Ce sont ses Rythmes colorés de 1912-1914 qui constituent toutefois sa plus intéressante contribution à l'art du XXème siècle. Ces créations le placent historiquement parmi les créateurs de l’abstraction tels que Delaunay, Kupka, Mondrian et Malevitch. Exécutés en vue de former les premiers éléments d'une sorte de dessin animé que Survage proposa en 1914 à la société Gaumont. Ils représentent en effet une des toutes premières tentatives d'exploitation des possibilités plastiques du cinéma, qui annoncent les expériences de V. Eggeling et H. Richter. La société Gaumont retint le projet, mais ne le réalisa pas du fait de la guerre.
Survage, non mobilisé pour raisons de santé, part alors pour Nice où il découvre la lumière méditerranéenne qui le marque profondément, lui le peintre du Nord !
L’artiste puise dans cette ville une palette réinventée (roses, bleus du ciel et de la mer, vert profond, jaune strident, orange et rouge éclatants) et réalise une peinture onirique qui, avec celle de De Chirico et Chagall, ouvrira la voie à la peinture surréaliste.
De retour à Paris en 1919, Survage abandonne la sensualité heureuse de la couleur pour des tons sourds gris, ocre, bruns ponctués de rouges orangés et de verts qui soulignent la rigueur linéaire de la construction. Cette même année, il fonde la seconde Section d’Or, avec Gleizes et Archipenko, qui expose les œuvres des artistes d’avant-garde.
Son cubisme n’était pas orthodoxe, il pratiquait ce qu’il appelait une « synthèse plastique de l’espace », traduction de l’espace en deux dimensions qu’il préférait à l’analyse volumétrique du cubisme analytique. A la suite de Picasso et Derain, cédant lui aussi « à ce sentiment d’être allé trop loin », Survage ressent le devoir, par-delà les inventions du cubisme, de l’art abstrait, de renouer avec la tradition de la peinture. Il revient au sujet académique et à la figure classique et sent bientôt l’impasse de cette impossible fusion entre le retour aux sources et la modernité. C’est dans ce contexte que Survage part à Collioure, comme Matisse ou Derain, vingt ans plus tôt. Dans l’intensité des couleurs qui avaient marqué le début du Fauvisme de Matisse, Survage perçoit le resurgissement de la tragédie antique, la présence vivante des mythes, entre ombre et soleil.
Comme pour Picasso, la lumière de la Catalogne ressuscite en lui le mythe grec. Peu à peu libéré des contraintes néo-classiques qu’il s’était imposées, Survage se sert de Collioure comme de prétexte, voire de révélateur pour intervenir dans la trajectoire créative, plastique et intellectuelle du moment. Lors de son séjour à Collioure vers 1924, sa palette évolue et se décline en un camaïeu de gris et de tons de terre. C’est à Collioure, entre 1925 et 1932, que Survage va redevenir l’expérimentateur d’une peinture qui se réclame autant du contenu spirituel de Gauguin que des moyens plastiques de Cézanne.
Il se concentre essentiellement sur les métiers féminins et les sacralise autour des thèmes essentiels que sont les pêcheuses, les marchandes de poissons, les porteuses, mais aussi autour des pleureuses et des femmes à la fenêtre. Avec des pièces remarquables encore jamais montrées que sont les deux Pêcheuses de 1925, (collection particulière) les représentant comme des sortes de cariatides sorties tout droit de la Grèce Antique. Il est aussi à remarquer la grande et émouvante beauté des Pêcheuses 1925 de la collection du Arts Club of Chicago, jamais montrées en dehors de cette collection et représentées telles qu’elles étaient avec leurs vêtements, les foulards et espadrilles, émanation de femmes du peuple et déesses divines à la fois.
Survage fut également l'auteur de décors pour Mavra, ballet de Diaghilev, et de grands panneaux décoratifs pour le pavillon des Chemins de fer à l'Exposition internationale de 1937, panneaux pour lesquels il reçut une médaille d'or. Il participa à la Biennale de Venise en 1954. En 1960, il se vit décerner le prix Guggenheim pour sa toile Maternité (1958). Plusieurs expositions lui furent consacrées, au musée de Nîmes (1969), aux musées de Saint-Étienne, des Sables-d'Olonne (1973), de Nice (1975), et, plus récemment, une rétrospective a eu lieu à Troyes (M. A. M. en 1993).